Une tristesse française

Le 7 mai 1954, il y a 70 ans, tombait Diên Biên Phu, entraînant, deux mois et demi plus tard, les accords de Genève, mettant fin à la guerre d’Indochine. Commencée comme une guerre coloniale, la guerre d’Indochine s’est achevée comme le premier grand affrontement, simultanément avec la guerre de Corée, entre l’Est et l’Ouest. Cette guerre lointaine, peu soutenue et mal comprise par nos compatriotes, reste une tristesse française symbolisée par cette dernière bataille perdue où le courage de nos soldats n’a pourtant pas fait défaut.

À peine la Seconde Guerre mondiale terminée, la France se trouve entraînée dans un nouveau conflit afin de conserver l’Indochine française, déjà mise à mal par l’occupation japonaise, que lui conteste le Parti communiste vietnamien dirigé par Hô Chi Minh.

Neuf ans après le début des combats, la situation reste confuse car la France n’est pas parvenue à reprendre l’initiative en dépit des nombreuses opérations lancées par l’état-major.

Depuis 1949, la France ne se bat plus pour conserver ses territoires indochinois auxquels elle a renoncé mais comme allié du nouvel État du Vietnam constitué au sein de l’Union française et dont la direction a été confiée à l’ancien empereur Bao Daï. On n’est plus alors dans une guerre franco-vietnamienne mais davantage dans une guerre civile vietnamienne opposant l’État du Vietnam soutenu militairement par la France et la République démocratique du Vietnam aidée par la Chine. À la fin du conflit, le corps expéditionnaire français d’Extrême-Orient comptait 177 000 hommes tandis que son alliée, l’Armée nationale vietnamienne, en alignait 168 000, soit un nombre à peu près équivalent, face aux 120 000 combattants du Viet Minh épaulés par 200 000 partisans.

En octobre 1953 est lancée une nouvelle opération française baptisée Castor, vaste opération aéroportée dont le but est de s’emparer de la plaine de Diên Biên Phu au Tonkin, afin, notamment, de couper la route du Laos voisin au Viet Minh. Les Français s’emparent facilement de la cuvette où les parachutistes sont rapidement remplacées par des unités venues d’Hanoï sous le commandement du colonel de Castries. Ils n’imaginent pas alors que la cuvette, vite cernée par les divisions d’infanterie et d’artillerie du général Giap, va devenir leur tombeau.

Le camp de Diên Biên Phu, qui sera bientôt un camp retranché, est constitué par une piste d’atterrissage entourée de points d’appui dénommés par des prénoms féminins (Dominique, Claudine, Béatrice, Gabrielle, Huguette, Françoise, Éliane, Anne-Marie et Isabelle).

Si l’armée française est bien informée de la présence de l’artillerie de son adversaire, qui, contrairement à la légende, n’a pas été apportée à bicyclettes mais par des camions d’origine soviétique, elle se croit en possibilité de la détruire facilement, n’imaginant pas qu’elle a été enfouie dans des grottes.

Les combats commencent le 13 mars 1954 par un premier assaut sur Béatrice. Constatant l’impossibilité de contrer les canons du Viet Minh, le lieutenant-colonel Charles Piroth, commandant l’artillerie française, qui avait jusqu’ici affirmé le contraire, se suicide le 15 mars. À partir ce ce moment-là, la piste d’atterrissage devient inutilisable. Bloquée dans le camp, la convoyeuse de l’air Geneviève de Galard se transforme en infirmière où elle deviendra, sous la plume de la presse anglo-saxonne, impressionnée par son courage et son abnégation, l’Ange de Diên Biên Phu.

Après une période d’accalmie, suit un nouvel assaut des forces du Viet Minh, appelé la bataille des cinq collines qui tombent une à une, à l’exception d’Éliane 2. Les assaillants optent alors pour le grignotage des positions ennemies par la création de tranchées et de sapes de communication. Les défenseurs du camp font preuve d’un courage incroyable, les blessés acceptant de repartir au combat tandis que des volontaires venus d’Hanoï, dont certains n’avaient jamais sauté en parachute, sont largués dans la cuvette.

Tous espèrent un soutien aérien américain mais les États-Unis ne veulent pas se trouver entraîner dans un conflit face à la Chine et se contentent de laisser intervenir les mercenaires de l’ancienne escadrille des Tigres volants du Général Claire Chennault.

L’assaut final est lancé le 1er mai et Eliane 2, qui résistait toujours, est détruite le 6 mai par une charge de TNT placée dans une sape creusée sous la colline. Le lendemain 7 mai, le général de Castries, qui a été promu pendant la bataille, reçoit de ses supérieurs l’ordre de cesser le feu et une division vietminh investit le camp le jour même.

La victoire des communistes vietnamiens a été néanmoins acquise au prix fort, avec 8 000 morts contre 2 300 dans le camp français. Mais sur les 11 800 soldats de l’Union française faits prisonniers, 8 400 environ vont mourir en captivité, tandis que le destin des 3 000 prisonniers d’origine indochinoise reste inconnu.

Qu’à tous, il soit rendu l’honneur et le respect qu’ils méritent.

Fabrice de Chanceuil.